J’ai lu beaucoup de réactions différentes à la gifle de Will Smith aux Oscars que vous n’aurez pas ratée. Bien sûr, chaque réaction porte une part de subjectivité et la somme des avis est plus une construction sociale qu’une élaboration de la vérité.
Une chose est frappante à première vue, c’est que Will Smith a des valeurs de non-violence et d’amour. Il le dit lui-même dans sa lettre d’excuses, « mes actions ne sont pas représentatives de l’homme que je veux être ». Alors que s’est-il passé entre son intention de non-violence et son passage à l’acte?
« Will Smith n’a pas réagi pour sa femme ou pour son honneur, il a réagi ainsi parce que la souffrance de sa femme lui était insoutenable. »
Will Smith n’a pas réagi pour sa femme ou pour son honneur, il a réagi ainsi parce que la souffrance de sa femme lui était insoutenable. Nous avons tous compris que la gentille blague de Chris Rock a touchée Jada Pinkett Smith, l’épouse de Will Smith parce que sa coupe de cheveux n’était pas un choix mais la conséquence d’une alopécie.
Will Smith n’a pas réagi à la blague en elle-même, il le dit, il sait que c’est ok de faire ce genre de blagues dans ce contexte. Il a réagi à la perception de la souffrance de sa femme. Là encore, il l’écrit dans sa lettre d’excuse « une blague sur l’état de santé de Jada était trop dure à supporter pour moi et j’ai réagi avec émotion ». Ce n’est pas la blague, mais son émotion qui était insupportable. Pourquoi ?
Amour et compassion:
Darwin, l’avait déjà remarqué, nous avons plus de compassion pour nos proches que pour les gens qui sont éloignés. La compassion est une sensibilité à la souffrance avec une motivation à s’engager vers cette souffrance pour la libérer (Gilbert).
En quoi la souffrance de nos proches modifie-elle notre réaction de compassion ?
En réalité ce n’est pas directement la compassion qui est en lien avec la proximité affective mais notre perception de la souffrance. On peut parler ici de contagion émotionnelle. La connexion, le degré de lien que l’on a avec une personne, ce qu’on appelle communément l’amour, nous amène à percevoir la souffrance de l’autre comme si c’était la nôtre.
Lorsque l’on perçoit cette souffrance, nous avons deux choix.
- Le premier est de l’accueillir avec compassion, c’est-à-dire faire de la place à la souffrance. L’espace qui se crée alors entre nous et la personne en souffrance va être un espace de restauration, d’intégration de la douleur. Cette intégration est liée à des processus de synchronisation des ondes cérébrales entre les deux personnes connectées.
- Si cette souffrance est trop difficile à supporter, une autre motivation va s’activer, que j’appelle la motivation à la non-souffrance. Elle ressemble beaucoup à la compassion mais en réalité elle vise à supprimer la souffrance, comme on règle un problème. C’est que l’on fait par exemple s’anesthésiant, en évitant une situation difficile ou en cherchant à détruire la situation ou la personne qui est source de notre souffrance… C’est cette motivation à la non-souffrance qui nous pousse à faire la guerre à ceux qui nous blessent, à éviter à un enfant de prendre le risque de se blesser en faisant du vélo ou à éviter de rendre visite à une personne malade que nous aimons.
La joie de vivre des enfants gravement malades est souvent interprétée comme un signe de force et de combativité face à la maladie. C’est parfois vrai, mais parfois c’est aussi une stratégie pour éviter de mettre leurs proches en détresse. Ils vont afficher un grand sourire pour réguler la souffrance de leurs parents, touchés par la contagion émotionnelle en réaction à leur propre souffrance. Un peu comme dans une caisse de résonnance, si l’enfant souffre, le parent souffre aussi. L’enfant affiche alors un grand sourire pour éviter de voir ses parents en détresse.
Il est fort probable que Will Smith ait vu sa femme souffrir de la perte de ses cheveux et il a certainement essayé de contenir sa réaction émotionnelle. Voir sa femme blessée publiquement, l’a mis devant quelque chose qu’il n’avait probablement pas accepté.

Lorsque j’ai accouché de mon premier enfant sans anesthésie, le papa est sorti après plusieurs heures de la salle d’accouchement. J’ai ressenti un profond soulagement, non pas qu’il sorte, mais j’étais soulagée de ne plus devoir contenir ma souffrance. J’ai pu crier pour la première fois. J’ai souvent des patientes empathiques qui sont libérées de comprendre que leur conjoint, s’il n’est pas capable de supporter leur souffrance, n’y est pour autant pas insensible. Il est juste dans une motivation de non-souffrance.
La violence:
Je n’élude bien sûr pas la question la violence. Il est évidement regrettable que Will Smith ait été violent dans son geste. Mais n’oublions pas que la première cause de violence est la violence. Pourquoi ? Parce que la violence, comme la perception de la souffrance est véhiculée par des liens de connexion. Des recherches sur la contagion, ont montré que de nombreuses fusillades sont déclenchées par des fusillades antérieures, par le biais de mécanismes de vengeance. La souffrance des proches des victimes entraine de nouveaux actes de violences et des programmes tels que Cure violence, accompagnant les victimes et leurs proches pour désamorcer la violence se sont montrées efficaces.
Will Smith lui-même a été victime de la violence de son père envers sa mère et le sentiment qu’il aurait dû la défendre a pu enraciner cette violence.
Ce comportement a fait l’objet d’excuses publiques immédiates, ce qui tend à montrer que cet acte n’est pas un calcul réfléchi de tentative de domination, comme c’est parfois le cas de certaines violences, mais bien plutôt le résultat d’une souffrance intense. Pouvoir exprimer que l’on a commis une erreur et montrer des actes de restauration est fondamental dans le processus de désamorçage de la violence.
L’Amérique ne souffre pas seulement d’un excès de violence, elle souffre d’avoir un cœur immense, qui n’est pas soutenu par suffisamment de compassion.
La bonne nouvelle est que la compassion se développe. Est-ce le nouvel Eldorado ? Le nouveau rêve américain ? Dans le prochain blockbuster, le super héros devra peut-être découvrir ses pouvoirs en acceptant la vulnérabilité de celui ou de celle qu’il aime…

Isabelle Leboeuf, est Docteure en psychologie clinique et psychothérapeute à Lille, France. Elle est experte en joie sociale et en compassion. Dans son cabinet privé, elle intègre l’hypnothérapie, la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie fondée sur la compassion.