La colère est un outil qui nous aide à comprendre et à répondre à des situations sociales bouleversantes. Mais comment peut-on éviter de perdre le contrôle ?
PAR TODD KASHDAN, ROBERT BISWAS-DIENER | Publié avec autorisation, cet article a été publié en anglais par Greater Good Magazine
La colère n’est ni bonne ni mauvaise en soi – c’est ce que l’on en fait qui compte.
La colère est mieux comprise comme un outil qui nous aide à lire et à réagir aux situations sociales difficiles. La recherche indique en grande majorité que le ressenti de colère augmente l’optimisme, la créativité et les performances – elle suggère que l’expression de la colère peut mener à des négociations plus fructueuses, dans la vie ou au travail.
En fait, réprimer la colère peut être source de souffrance. Le Dr Ernest Harburg et son équipe de l’École de santé publique de l’Université du Michigan ont passé plusieurs décennies à suivre les mêmes adultes dans une étude longitudinale de la colère. Ils ont constaté que les hommes et les femmes qui cachaient la colère qu’ils ressentaient en réponse à une attaque injuste se sont ensuite retrouvés plus susceptibles de contracter une bronchite et des crises cardiaques, et étaient plus susceptibles de mourir plus tôt que leurs pairs qui laissaient entendre leur colère lorsque d’autres personnes étaient ennuyeuses.
Lorsque la colère surgit, nous nous sentons appelés à prévenir ou à mettre fin aux menaces immédiates à notre bien-être ou au bien-être de ceux qui nous tiennent à cœur. L’altruisme naît souvent de la colère ; quand il s’agit de mobiliser d’autres personnes et de créer un soutien pour une cause, aucune émotion n’est plus forte. C’est une erreur de présumer que la gentillesse, la compassion, l’amour et l’équité s’alignent d’un côté d’un continuum, et la colère, la rage et l’aversion d’un autre côté. La positivité seule est insuffisante pour nous aider à naviguer dans les interactions et les relations sociales. Une société saine n’est pas une société sans colère.
Il est certainement intelligent d’avoir de la prudence autour de la colère, tout comme le fait de garder à l’esprit qu’elle ne doit pas être surutilisée ou utilisée avec tout le monde. Sous ces réserves, l’expression d’une colère authentique peut être tout à fait appropriée chez certaines personnes et dans certaines situations. La question est de savoir comment faire pour ne pas la laisser aller trop loin. Quelle est la bonne façon de se fâcher ?
Comment gérer la colère
Lorsque vous voulez exprimer de la colère ou une émotion négative, une façon de le faire est de commencer par ce que nous appelons « l’avertissement d’un inconfort ». Faites savoir explicitement aux autres que vous ressentez des émotions intenses et qu’à cause de cela, il vous est plus difficile que d’habitude de communiquer clairement. Excusez-vous à l’avance, pas pour vos émotions ou vos actions, mais pour le manque potentiel de clarté dans la façon dont vous communiquez ce que vous êtes sur le point de dire.
Le but de l’avertissement d’un inconfort est de désarmer la personne, pour éviter qu’elle ne devienne défensive. Lorsque quelqu’un entend que vous êtes mal à l’aise et que la conversation est difficile pour vous, cela augmente la probabilité qu’il aborde ce que vous avez à dire avec empathie. Après avoir utilisé cette ouverture, vous pouvez ensuite approfondir ce qui vous dérange, ce que vous pensez et ressentez à la suite de tout ce qui s’est passé (pourquoi la colère est apparue au lieu d’autres sentiments).
La difficulté évidente consiste à comprendre comment mettre en mouvement les sentiments de colère, en particulier dans les relations. Premièrement, nous voulons vous décourager de faire des déclarations personnelles qui incitent à essayer de contrôler ou d’éviter la colère, telles que « Je dois me débarrasser de ma colère » ou « Pourquoi ne puis-je pas être moins en colère ? »
Au lieu de cela, reconnaissez la différence entre les événements que vous pouvez changer et ceux que vous ne pouvez pas contrôler. Si vous êtes en voyage et que vous perdez votre bonnet le premier jour, vous ne pouvez rien changer, il n’y a donc aucun avantage à exprimer de la colère. Mais si vous négociez avec un commerçant dans un marché aux puces le prix d’un chapeau et que vous êtes contrarié d’avoir un prix plus élevé que le client précèdent, vous possédez un certain contrôle. Maintenant, dans cette situation, comment communiquez-vous de manière appropriée l’agacement ou la colère pour obtenir un résultat satisfaisant? Le Dr Howard Kassinove, psychologue et rédacteur en chef du magazine Anger disorders, mentionne que la clé est d’utiliser « un ton approprié sans rabaisser l’autre personne ».

Deuxièmement, ralentissez la situation. Notre tendance initiale est de se précipiter et d’agir immédiatement, surtout si l’on a le « sang chaud ». Essayez plutôt de penser à la colère comme étant à la fois rapide et/ou lente, quand vous voulez crier vs lorsque vous voulez motiver une personne de manière réfléchie.
Lorsque vous êtes en colère, donnez-vous la permission de faire une pause pendant un moment, même si quelqu’un attend votre réponse. Vous pouvez même faire savoir que vous ralentissez intentionnellement la situation. Choisissez de prendre de bonnes décisions plutôt que de prendre des décisions rapides. Lorsque vous êtes en colère, les pauses, les respirations profondes et les moments de réflexion sont plus efficaces que les réponses rapides. Si vous vous sentez moins en colère lorsque vous ralentissez, tant mieux, mais ce n’est pas le but. Il s’agit de vous donner un plus large éventail d’options parmi lesquelles choisir dans une situation chargée émotionnellement.
Pensez comme un joueur d’échecs. Avant de décider d’un plan d’action, imaginez comment l’autre personne va contrer et à quoi pourrait ressembler la situation dans deux mouvements à partir de maintenant. Si ça semble être la bonne option, continuez sur votre chemin actuel. Sinon, envisagez un comportement alternatif, imaginez comment faire face et évaluez ce scénario. Continuez à dialoguer avec vous-même vous demandant: « Ma colère est-elle aidante dans cette situation? »
Lorsque vous êtes engagé dans un dialogue avec quelqu’un d’autre, il n’y a pas de réponse unique à cette question car les émotions et les actions impliquées changent constamment. À un moment donné, je pourrais vouloir affirmer ma domination en racontant une histoire, et quelques minutes plus tard, je pourrais vouloir augmenter le sentiment de connexion en ignorant une remarque incendiaire.
Définir des limites de vitesse
Le psychologue John Riskind, un expert des émotions apparemment incontrôlables, a mis au point des techniques pour ralentir la vitesse des événements menaçants.
Riskind a constaté que l’expérience de la colère n’est pas aussi problématique que la croyance que la séquence d’événements déclenchant cette colère crée une accélèration, que le danger s’intensifie et que la fenêtre disponible pour agir disparaît rapidement. Ce sentiment de danger imminent pousse les gens à agir pour arrêter la menace immédiate, au détriment du plus long terme ce qui va aggraver la situation (par exemple frapper la personne qui vous a doublé dans la file d’attente à la caisse de l’épicerie).
La première étape consiste à vérifier fréquemment si votre colère augmente, diminue ou se stabilise dans la situation donnée. Pour vous aider, vous pouvez créer un repère en utilisant un nombre ou un terme descriptif pour saisir l’intensité de la colère. On peut par exemple imaginer un compteur de vitesse:
- 140 km/h et plus: bouillant, explosif, violent
- 130 km/h: furieux, outré
- 110 km/h: furieux, enragé, exaspéré
- 90 km/h: amer, indigné, énervé
- 80 km/h: en colère
- 70 km/h: agité, perturbé
- 60 km/h: ennuyé, irrité, frustré
- 50 km/h: ébouriffé, mécontent
- 30 km/h: calme et frais, paisible, tranquille
Si votre colère est bien au-dessus de la limite de vitesse, vous aurez besoin de plus de temps pour retrouver un maximum de flexibilité et de contrôle face à la personne qui vous a provoqué(e) ou contrarié(e). Dans ce cas, pensez à ralentir la vitesse. À cette vitesse élevée, vous perdez probablement un peu le contrôle.
Imaginez que vous freinez de manière à ce que votre façon d’agir et celle des autres se stabilise de 130 km/h à 110 km/h, puis de 110 à 90. Créez une image mentale de comment vous pourriez vous sentir et de la façon dont vous pourriez percevoir les autres. Remarquez par exemple qu’ils vous semblent moins proches physiquement de vous. Écoutez attentivement ce que les autres disent et portez attention à leur communication non verbale. Ralentissez le plus possible pour voir si la personne qui vous dérange est ouverte à la conversation ou fermée, si elle cherche vraiment à attaquer ou si elle cherche un moyen de sortir de cette situation difficile.
Que ressentez-vous lorsque vous vous imaginez ralentir ? Comme le dit Riskind à propos de la colère, « Vous pourriez penser qu’il y a trop de choses à faire et pas assez de temps pour les faire. » Cet exercice, axé sur la vitesse du mouvement des menaces, nous donne un peu plus de marge de manœuvre psychologique. Testez cet outil et explorez s’il vous permet de mieux gérer votre colère.
On peut conclure que la plupart des préjugés contre les expériences émotionnelles négatives surviennent parce que les gens confondent des émotions extrêmes qui sont accablantes et problématiques avec leurs cousins plus bénins. La colère n’est pas la rage. La colère peut être une source bénéfique d’informations émotionnelles qui concentre l’attention, la réflexion et le comportement avec une efficacité surprenante.
A propos des auteurs : leur livre « soyez négatifs » sortira le 20 janvier 2021 (déjà disponible en format Kindle).

Todd B. Kashdan, Ph.D. est professeur de psychologie et Directeur du laboratoire d’étude de l’anxiété sociale, des forces de caractère et des phénomènes connexes à l’Université George Mason. Pour en savoir plus sur ses livres et ses recherches, consultez http://www.toddkashdan.com.
Robert Biswas-Diener, Ph.D., est internationalement connu comme « l’Indiana Jones de la psychologie positive » parce que ses recherches sur le bonheur l’ont emmené dans des endroits aussi éloignés que le Groenland, l’Inde et le Kenya. Robert est Directeur général de Positive Acorn et vit à Portland, dans l’Oregon.